La Cour de Cassation a rendu, la semaine dernière, plusieurs arrêts qui tranchent un conflit entre le Code du travail et la législation européenne. Voici donc un point d’actualité pour essayer de clarifier ce débat sur les congés payés et les arrêts maladie.
Jusqu’à présent, le Code du travail
Le Code du Travail est clair. Si l’absence du salarié est une période de travail effectif, elle permet d’acquérir des congés payés. Si ce n’est pas le cas, il n’y a pas d’acquisition, comme le montre le tableau ci-dessous.
Tableau issu du site service-public (avant les arrêts de la Cour de Cassation)
Concrètement, quelques absences ne changent pas le nombre de congés annuels. En effet, pour acquérir l’ensemble des jours de congés, il suffit de justifier de 48 semaines de travail effectif (absences assimilées incluses) sur les 52 annuelles.
Par contre, si la personne se retrouve en arrêt de travail (d’origine non-professionnelle) pour une durée supérieure à 4 semaines par an, ses droits à congés payés sont impactés.
Exemple : Pour un arrêt maladie non-professionnelle de 3 mois dans l’année, il y a 40 semaines de travail effectif (absences assimilées comprises) pour le ou la salarié·e. Ce·tte dernier·e acquière ainsi 25 jours ouvrables de congés payés et non pas 30.
Par ailleurs, dans le cadre d’un arrêt lié à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le Code du Travail prévoit une acquisition des congés payés pour une durée maximum de 1 an ininterrompu. Au delà de cette année, le ou la salarié·e n’acquière plus de congés payés.
Les arrêts de la Cour de Cassation
Pour rappel, la Cour de Cassation veille à la bonne application des lois. Elle ne juge pas le fond de l’affaire mais la conformité de la décision de justice par rapport à la règlementation existante.
Ainsi, les arrêts de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023 indiquent que le droit français (présenté ci-dessus) n’est pas conforme aux directives européennes.
En effet, la directive européenne ne fait pas de distinction entre travail effectif ou non. Elle précise que, lorsque le salarié ne peut pas travailler en raison de son état de santé (situation indépendante de sa volonté) son absence ne doit pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à congé payé.
De plus, dans un deuxième arrêt, la Cour de Cassation indique que le délai de 1 an applicable aux arrêts pour accident de travail ou maladie professionnel n’est pas conforme à cette directive et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La limite de temps est donc supprimée.
Que doit faire l’employeur ?
La question est maintenant de savoir si l’employeur:
- continue à appliquer le Code du travail, en attendant que celui-ci soit éventuellement modifié ?
- Ou s’il doit, dès à présent, modifier son décompte de congés payés, en suivant l’arrêt de la Cour de Cassation ?
La jurisprudence de la Cour de Cassation n’a pas valeur de loi. Toutefois, il est presque certain que les juridictions appliqueront cette décision. En effet, si elles ne le font pas, les salarié·es pourront faire un recours à la Cour de Cassation. Cette dernière cassera probablement un jugement qui ne prendrait pas en compte cette nouvelle jurisprudence.
En bref, l’application n’est donc pas automatique. L’employeur va donc devoir choisir entre :
- appliquer volontairement cette mesure
- attendre la modification du Code du travail avec le risque d’un recours en justice d’un·e salarié·e et d’une condamnation.
Concrètement, si l’employeur choisit d’appliquer le Code du travail, les salarié·es pourront demander l’application de cette jurisprudence et le recompte de leur droit à congé payé. En cas de refus, ils pourront saisir le Conseil des Prud’hommes pour faire appliquer la décision de la Cour de Cassation.
Si l’employeur choisit d’appliquer cette nouvelle jurisprudence, il lui faudra recalculer les droits à congés payés des salarié·es en arrêt de travail.
Quels impacts pour l’entreprise ?
Pour les arrêts en cours ou futurs, cela a un impact sur l’organisation du travail et/ou le paiement des congés payés.
Prenons pour exemple, un·e salarié·e ayant eu un arrêt de travail de 6 mois. En appliquant le Code du Travail, il·elle auraient eu droit à la moitié (15 jours) de congés payés. En appliquant la nouvelle jurisprudence, il·elle a droit à la totalité de ses congés payés (30 jours).
Il faudra donc organiser le travail pour que la personne puisse poser ses 30 jours de CP à son retour dans l’entreprise.
Autre exemple, pour un arrêt de 2 ans suite à un accident du travail. Le ou la salarié·e aura maintenant droit à l’intégralité de ses 2 ans de congés payés (contre 1 an avec le code du travail). Ce qui a souvent un impact sur les indemnités compensatrices de congés payés en fin de contrat.
Cette mesure peut donc avoir un impact financier, non négligeable dans certaines situations.
Les questions qui vont se poser
Des problèmes vont aussi se poser sur la question de la rétroactivité. En effet, la directive européenne sur laquelle se base la Cour de Cassation n’est pas nouvelle. Il n’est donc pas exclu que la jurisprudence s’applique aux situations datant d’il y a plusieurs années. Un·e salarié·e pourrait alors faire un recours en justice pour obtenir le paiement de congés payés. Et cela même si l’arrêt de travail date d’il y a 3 ans par exemple.
Autre point, la directive européenne fixe 4 semaines de congés par an et non pas 5. Ces nouvelles mesures vont-elles alors s’appliquer sur les 5 semaines de congés payés ou non ? Vont-elles prendre en compte les éventuels congés conventionnels supplémentaires ?
Ce sont quelques unes des interrogations qui vont apparaître ses prochains mois.
Pour conclure, la jurisprudence de la semaine dernière soulèvent donc de nombreuses problématiques. Pour l’instant, le gouvernement indique qu’il « prend acte de l’arrêt de la Cour de Cassation » et qu’il analysera « les options possibles ».
Affaire à suivre …